La durabilité dans un contexte de changements climatiques
Dans son sixième rapport d’évaluation publié en 2021, le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) réitère l'urgence de réduire les émissions de gaz à effet de serre et souligne l'importance de prendre des « mesures immédiates et à long terme pour s'adapter au changement climatique ».
Le rapport met en évidence les impacts du changement climatique sur les écosystèmes, la biodiversité, l'agriculture, la santé et les moyens de subsistance. Il souligne aussi l'importance de l'équité et de la justice climatique dans les efforts d'atténuation et d'adaptation.
Objectifs clés du rapport GIEC 2018
- Limiter le réchauffement à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels.
- Réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre de 45 % d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 2010.
- Atteindre le zéro net d’ici 2050.
Aujourd’hui, le dépassement de ces 1,5 °C nous oblige à nous adapter pour survivre dans le monde de demain. Dans notre contexte de cinquième révolution industrielle, la santé et la sécurité au travail deviennent une préoccupation majeure. Par exemple, les plans canicules dans les usines pourraient devenir une normalité à ce rythme.
Il est scientifiquement prouvé que le réchauffement climatique est causé par l'activité humaine. Reconnaître cette réalité souligne la nécessité de repenser nos modes de production et de consommation afin de limiter les conséquences irréversibles sur notre planète et par conséquent sur nous qui y vivons.
Limites planétaires, théorie du donut et « tunnel » carbone
Le concept des limites planétaires, développé par Johan Rockström, définit les neuf seuils environnementaux à ne pas dépasser pour que le monde reste vivable et soit un « espace opérationnel sûr pour l'humanité ».
6 des 9 des limites planétaires sont aujourd’hui dépassées.
Source : https://www.notre-environnement.gouv.fr/themes/societe/article/limites-planetaires
La théorie du donut, proposée par Kate Raworth, complète cette approche en ajoutant un seuil social à atteindre. Pour que l'Industrie 5.0 contribue à une société plus durable, il est crucial de respecter ces limites et de viser « l'espace sûr et juste » défini par cette théorie.
Se concentrer uniquement sur les émissions de CO₂ est un piège surnommé le « tunnel » du carbone. Limiter l'analyse à ces seules émissions n’a pas de sens. Il est essentiel de prendre en compte tous les éléments, de peser le pour et le contre de chaque décision selon un ensemble de critères définis tels que les Objectifs de Développement Durable de l’ONU (ODD) et les critères spécifiques à l’industrie.
De nouveaux standards pour répondre à cet enjeu
L’ISSB (International Sustainability Standards Board), créé en 2021 par l’IFRS (International Financial Reporting Standards), établit son propre référentiel ESG (environnement, social et gouvernance). L’IFRS est une initiative internationale privée basée aux États-Unis.
En Europe, la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), qui fait partie du Green Deal Européen, vise la neutralité carbone d'ici 2050 et transformera profondément le reporting RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise) des grandes entreprises à partir de 2024.
Structurer des indicateurs clés de durabilité dans l’usine
Aligner les activités industrielles avec les objectifs de durabilité nécessite la mise en place d’indicateurs pertinents. Par exemple, les ESRS (European Sustainability Reporting Standards), qui font partie de la CSRD, fournissent des critères à inclure dans les rapports de durabilité. Même une entreprise non soumise à la CSRD, comme une PME, peut utiliser ces critères pour établir et déployer des indicateurs pertinents.
Source : https://www.sami.eco/blog/fiche-csrd
Indicateurs de durabilité pertinents pour une usine
Environnementaux
- Empreinte carbone : Mesure des émissions de CO₂ et autres gaz à effet de serre.
- Consommation d'énergie : Quantité d'énergie utilisée par unité de production, atelier ou machine.
- Gestion des déchets : Quantité de déchets générés, taux de recyclage.
- Utilisation de l'eau : Volume d'eau consommée, recyclée, traitée, rejetée.
- Biodiversité : Impact des activités industrielles sur la biodiversité locale.
Sociaux
- Santé et sécurité au travail : Taux d'accidents et maladies professionnelles.
- Formation, développement : Heures de formation, diversité des sujets.
- Équité, diversité, inclusion : Écarts de rémunération H/F, écarts d’augmentations et de promotions.
- Mobilisation des employés : Niveau de satisfaction et de motivation des employés.
- Implication communautaire : Contributions et partenariats avec la communauté locale, heures de bénévolat.
Dans l’Industrie 5.0, les indicateurs de durabilité sont incontournables. Tout comme le TRS (taux de rendement synthétique) est affiché sur les écrans des machines ou des usines, nous aurions des indicateurs de consommation énergétique (électricité, vapeur), de consommation d'eau, ainsi que des objectifs globaux à atteindre, similaires à l'objectif de 1,5°C fixé par l'accord de Paris.
Exemple d’un client : usine d’un grand groupe industriel français
Volonté de l’entreprise |
Indicateurs |
Objectif 2030 (pour atteindre les cibles de l’accord de Paris) |
Être auto-suffisant en eau |
Volume pompé dans la nappe phréatique (suivi quotidien) |
-50% par rapport à 2023 |
Être auto-suffisant en électricité |
Consommation électrique (suivi quotidien) Émissions de CO₂ (suivi hebdo) |
-50% par rapport à 2021 |
Avoir un site éco-responsable et un comportement anti-gaspillage |
Taux de recyclage (suivi quotidien) Taux de déchets par type de produit (suivi quotidien) |
-40% par rapport à 2020 |
Ces indicateurs devront être surveillés quotidiennement, hebdomadairement, et mensuellement, plutôt que d'être rapportés annuellement dans un rapport de performance extra-financière (ce qui est déjà une exigence pour les grandes entreprises à partir de 2025 pour l'année 2024).
Exemple de suivi des indicateurs avec UTrakk durant une tournée de supervision active
Nous avions l’habitude de traiter « l’environnement » dans un pot commun avec l’axe de performance SSE (santé et sécurité de l’environnement) ou HSE (hygiène et sécurité de l’environnement). Dans le système de gestion quotidienne (DMS) UTrakk, les points de contrôle et indicateurs à vérifier lors des tournées de supervision active (ou tournées de terrain) étaient donc concentrés sur cet axe.
Aujourd’hui, « l’environnement » devient un axe de performance à part entière. Les points de contrôle et indicateurs sont divisés en catégories telles que l’énergie, la pollution, l’eau, etc., chacune d’elles étant suivie et évaluée de façon très précise.
L'intérêt de mettre en place de telles directives (comme la CSRD en Europe) est que l'entreprise pourra mesurer, analyser et agir en temps réel sur ces indicateurs, prenant ainsi des actions immédiates pour réduire son impact. Cela permettra de tenir compte de toutes les répercussions environnementales, sociétales, sociales et financières.
Nous avons encore du chemin à faire pour impacter positivement et considérablement le respect des limites planétaires. Mais la prise de conscience de nos clients et la mise en place d’un tel suivi sur ces éléments constituent déjà une avancée.
Repenser les processus et les modèles d’affaires dans le secteur manufacturier
Les modèles d’affaires durables
Comment repenser un business model pour plus de durabilité ? Comment s’orienter vers plus de sobriété lorsque l’on parle d’une Industrie 5.0 ?
Les organisations doivent repenser leurs modèles d'affaires pour répondre aux nouvelles exigences. Certaines structures émergent dans ce contexte, comme les entreprises à mission, les entreprises régénératives, les permaentreprises ou encore les entreprises circulaires.
Exemple de la permaentreprise
Source : https://www.permaentreprise.fr/le-modele/
L’économie circulaire
Représenter l’activité économique sous une forme circulaire renvoie à la mythologie de l’éternel retour, où le déchet ou produit usagé peut trouver une nouvelle vie après la mort. […] L’enjeu de la circularité forte n’est pas de réduire la production de richesses, mais de les générer autrement. Elle se fonde sur deux piliers : l’éco-conception des produits et des équipements pour allonger leur durée de vie et intensifier leurs usages ; le développement d’activités de services et de nouveaux modèles.
L’économie circulaire transforme le modèle traditionnel de « produire, utiliser, jeter » en un modèle durable de « réduire, réutiliser, recycler ». Elle vise à minimiser les déchets et à maximiser l'utilisation des ressources en fermant les boucles de production.
Le Lean, ou système de production durable
Le Lean Manufacturing, souvent réduit à une simple méthode d'amélioration de l'efficacité, retrouve une nouvelle dimension dans l’Industrie 5.0. Il ne s’agit pas seulement d’éliminer les gaspillages pour améliorer la productivité, mais surtout de replacer l’humain et la durabilité au centre des préoccupations.
Par exemple, en intégrant des pratiques de Lean durable, les entreprises peuvent réduire leur consommation d’énergie et de ressources, améliorer la gestion des déchets, et promouvoir un environnement de travail plus sûr et plus sain.
L'Industrie 5.0 offre l'opportunité de revisiter les principes fondamentaux du Lean pour créer une industrie plus sobre et respectueuse de l'environnement.
Intelligence artificielle: un atout pour l’entreprise durable
L’intégration de l’intelligence artificielle va de paire avec l’Industrie 5.0. En effet, l’IA offre également des solutions innovantes pour améliorer l'efficacité énergétique et réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Par exemple, des algorithmes d’IA peuvent optimiser les processus de production, prévoir les besoins en maintenance pour éviter les pannes, et gérer de manière intelligente les ressources pour minimiser les gaspillages.
Cependant, il est crucial de veiller à ce que l’adoption de l’IA ne mène pas à une surconsommation énergétique. Les entreprises doivent équilibrer les avantages de cette technologie avec des pratiques responsables, en utilisant des modèles énergétiquement efficaces et en intégrant des énergies renouvelables.
Source : https://librairie.ademe.fr/ged/6532/transitions2050-infographie-s3.pdf
Évitez l’écoblanchiment ! L’écoblanchiment consiste à donner une image écologique à des produits ou pratiques qui ne le sont pas réellement. Les entreprises doivent être transparentes sur leurs processus de production et leurs impacts environnementaux, et s’engager sincèrement à respecter les limites planétaires.
Durabilité et Industrie 5.0 : le rôle des leaders face à ce contexte
Les managers doivent comprendre, appliquer et donner du sens aux enjeux de durabilité tout en mobilisant leurs équipes. Ils doivent être soutenus pour produire de manière plus durable et guider leurs équipes à travers ces changements.
Les dirigeants quant à eux doivent adopter une vision à long terme, intégrer les principes de durabilité dans la stratégie d’entreprise et encourager une culture de sobriété, d’innovation et de responsabilité.
Voici quelques compétences actuelles que l’on peut observer :
- Leadership inspirant : Montrer l'exemple en adoptant des comportements durables.
- Formation et sensibilisation : Former les employés aux pratiques durables.
- Innovation : Encourager le développement de technologies et de processus durables.
- Collaboration : Travailler avec les parties prenantes pour co-créer des solutions durables.
- Suivi et évaluation : Mesurer les performances industrielles en matière de durabilité et ajuster les stratégies en conséquence.
L’importance d’accompagner les leaders dans la transition
La transition vers une industrie durable implique un accompagnement des leaders pour adapter leur rôle professionnel et personnel. Ils doivent être prêts à évoluer, à acquérir de nouvelles compétences et à adopter de nouvelles approches pour relever les défis de la durabilité.
De plus, comme le démontre notre exemple de suivi des indicateurs lors d’une tournée de supervision active, intégrer ces notions pour tendre vers une performance opérationnelle durable, c’est ajouter une « couche » supplémentaire au rôle de manager. Pour le soutenir, il aura besoin de ressources, de relais sur le sujet (au même titre que sur les sujets de la sécurité ou de la qualité, dont il bénéficie aujourd’hui).
Repenser la production pour un avenir durable
L'Industrie 5.0 incarne une transformation profonde de notre manière de concevoir la production industrielle. Elle intègre la durabilité au cœur de ses processus pour répondre aux défis environnementaux et sociaux urgents de notre époque. Les entreprises ont désormais la responsabilité et l'opportunité de réinventer leurs modèles d'affaires, en adoptant des pratiques qui respectent les limites planétaires et favorisent une société plus équitable.
Dans cette transition, les leaders industriels jouent un rôle central. Leur capacité à inspirer, à innover et à collaborer est essentielle pour guider les équipes vers des pratiques plus durables. Il ne s'agit pas seulement d'atteindre des objectifs environnementaux, mais de créer un environnement de travail qui valorise la santé, la sécurité et le bien-être des employés.
Pour que l'Industrie 5.0 soit véritablement durable, il est impératif de dépasser les approches superficielles et de s'engager sincèrement dans des actions transparentes et responsables. Ce voyage vers la durabilité demande des efforts concertés, des innovations continues et une volonté inébranlable de transformer nos systèmes industriels pour un avenir meilleur.
Sources
- ADEME. « Les scénarios ». Agence de la transition écologique, 2024. https://www.ademe.fr/les-futurs-en-transition/les-scenarios/
- Aggeri, Franck. « L’économie circulaire, un modèle véritablement soutenable ? ». La Gazette de la Société et des Techniques, n° 121, mars 2023. https://www.annales.org/gazette/2023/Gazette_121_03_23.pdf
- Commission européenne, Direction générale de la recherche et de l’innovation, Breque, M., De Nul, L., Petridis, A. Industrie 5.0 : vers une industrie européenne durable, centrée sur l’humain et résiliente. Office des publications de l’Union européenne, 2023. https://data.europa.eu/doi/10.2777/2866
- Commission de l’intelligence artificielle. « IA : notre ambition pour la France », mars 2024. https://www.info.gouv.fr/upload/media/content/0001/09/4d3cc456dd2f5b9d79ee75feea63b47f10d75158.pdf
- Eccles, Robert et Taylor, Alison. « La transformation des directeurs du développement durable ». Harvard Business Review France, 26 février 2024. https://www.hbrfrance.fr/carriere/la-transformation-des-directeurs-du-developpement-durable-60456
- Gaborit, Baptiste. « Tout sur la CSRD : les obligations de reporting extra-financier ». SAMI, 7 juin 2024. https://www.sami.eco/blog/fiche-csrd
- GIEC. « Changement climatique 2021. Les bases scientifiques physiques ». Sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, 2021. https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/downloads/report/IPCC_AR6_WG1_SPM_French.pdf
- Nations Unies. « Les impacts du changement climatique sur la sécurité et la santé au travail ». Nations Unies. Journée mondiale de la sécurité et de la santé au travail, 28 avril 2024. https://www.un.org/fr/observances/work-safety-day
- Notre-environnement.gouv.fr. « Les limites planétaires ». Notre-environnement.gouv.fr, 20 novembre 2023.
https://www.notre-environnement.gouv.fr/themes/societe/article/limites-planetaires - Permaentreprise. « Le modèle ». Permaentreprise.
https://www.permaentreprise.fr/le-modele/ - Teulon, Hélène. Le guide de l’éco-innovation : éco-concevoir pour gagner en compétitivité. Eyrolles, 2015, 280 p.
- Winston, Andrew et Polman, Paul. « RSE : l'encadrement intermédiaire est la clé de la durabilité ». Harvard Business Review France, 1 mai 2024. https://www.hbrfrance.fr/organisation/rse-l-encadrement-intermediaire-est-la-cle-de-la-durabilite-60536